L’avenir du travail
La rareté de main-d’œuvre au Québec
Usine désertée sans travailleurs

La rareté de main-d’œuvre et la reconfiguration du marché de l’emploi au Québec

On a grand fait cas de la rareté de main‑d’œuvre au Québec, tout juste avant la crise de la pandémie de COVID-19. Et pour cause : le chômage est descendu en février 2020 au taux historiquement bas de 4,5 %. Selon la tendance actuelle, près de 1,4 million d’emplois seront à pourvoir d’ici 2028, notamment des emplois demandant un haut niveau de qualification. La grande majorité d’entre eux ne seront pas toutefois de nouveaux emplois, mais plutôt des emplois laissés vacants par les départs à la retraite.

De plus, si la pandémie a évidemment freiné ces résultats impressionnants, le chômage artificiel causé par l’arrêt de l’économie et le confinement devrait se résorber en grande partie de lui‑même une fois que reprendra l’économie. En d’autres mots, la rareté de main‑d’œuvre au Québec redeviendra d’actualité bientôt, même si elle sera fort variable selon que l’économie soit pleinement déconfinée ou non.

Quelques emplois en déficit en 2019:

  • Caissier
  • Vendeur de gros ou de détail
  • Enseignant
  • Ouvrier agricole, de pépinière ou de serres
  • Infirmer, aide-infirmer ou préposé aux bénéficiaires
  • Gestionnaire de système informatique
  • Transformation alimentaire du poisson et des fruits de mer
  • Designer graphique
  • Mécanicien de chantier ou industriel
  • Ambulancier et paramédic
  • Pompier
  • Couvreur
  • Calorifugeur
  • Agent administratif
  • Manœuvre métallurgique
  • Serveur ou aide-cuisinier

Pénurie versus rareté

Une pénurie réfère à un manque grave de ce qui est nécessaire et à l’idée qu’on est au bord de la catastrophe. Les associations patronales utilisent généralement ce terme, car ce qu’elles craignent par-dessus tout, c’est que le pouvoir de négociation salariale passe dans les mains de la main-d’œuvre.

Une rareté renvoie à quelque chose de difficile à trouver. C’est bien moins dramatique. C’est l’expression que les organisations syndicales préfèrent parce qu’elle est plus près de la réalité.

Chose certaine, même avant la pandémie de la COVID-19, nous n’étions pas face à une pénurie généralisée au Québec, mais plutôt à une rareté de main-d’œuvre. Par contre, certaines professions spécifiques vivaient probablement une pénurie de main-d’œuvre, comme celle des préposés aux bénéficiaires, par exemple.

La rareté de la main-d’œuvre: une opportunité pour améliorer les conditions de travail de tous

En théorie, la rareté de main-d’œuvre peut faire tourner le rapport de force à l’avantage des travailleurs et des travailleuses, ce qui se traduirait en des augmentations salariales plus marquées. Et en effet, si on compare l’évolution dans les dernières années du taux de chômage, du taux d’augmentation du salaire moyen et du taux de l’inflation, la diminution du chômage suit une relative augmentation du taux du salaire moyen. Cette tendance est d’ailleurs surtout observable depuis 2016, où la diminution très marquée du taux de chômage va de pair avec une hausse importante de la rémunération. En d’autres mots, les travailleurs et les travailleuses du Québec semblent se retrouver dans une situation avantageuse pour revendiquer de meilleures conditions de travail et une rémunération supérieure.

Cependant, pour améliorer les conditions de travail des travailleurs et des travailleuses, il ne faut pas se fier seulement aux fluctuations du marché de l’emploi et de l’économie. Même si le salaire horaire moyen est à la hausse depuis quelques années, il faut remarquer qu’il ne s’agit pas de hausses faramineuses. Malgré le supposé nouveau contexte de rapport de force entre le capital et le travail, ces hausses salariales restent modestes. Le lien entre la baisse du taux de chômage et la hausse du salaire horaire moyen est donc loin d’être automatique.

Taux d’inflation, de chômage et d’augmentation du salaire horaire moyen.

Qui plus est, les statuts d’emploi se sont multipliés depuis les dernières décennies, créant une forte précarisation des emplois. Le résultat est qu’il y a maintenant de nombreuses personnes travaillant peu d’heures dans un secteur qui viennent combler les besoins dans un autre secteur, sans que cela exerce fortement une pression à la hausse sur les salaires. Certains emplois restent également sous-payés et sous-fréquentés. Plutôt que d’augmenter les salaires, des employeurs peu scrupuleux n’hésitent pas à recourir à des agences de placement, qui fournissent une main-d’œuvre précaire pour un fort bas salaire.

S’il semble donc exister une opportunité pour les travailleurs et les travailleuses en contexte de rareté de main-d’œuvre, cette opportunité ne sera que pleinement saisissable que grâce à l’action syndicale. C’est par le biais de la syndicalisation et de l’animation d’une vie syndicale combattive et dynamique que les travailleurs et les travailleuses pourront se mobiliser collectivement et obtenir, en contexte de rareté de main‑d’œuvre, les meilleurs avantages et gains.

De plus, non seulement l’action syndicale peut se saisir de la situation de rareté de main-d’œuvre pour la transformer à l’avantage des travailleurs et des travailleuses en un réel rapport de force, mais elle peut aussi œuvrer à ce que la reconfiguration du marché du travail se fasse de manière réellement inclusive.

En effet, en période où la demande en emploi est plus élevée, le réflexe des gouvernements consiste à vider les réservoirs de main‑d’œuvre de leurs surplus potentiels pour amener les personnes plus éloignées du marché du travail à s’y joindre, comme les travailleuses et travailleurs plus âgés, les personnes sur l’assistance sociale,  les personnes handicapées et les personnes immigrantes, tout en ciblant les secteurs économiques les plus en demande et en encourageant le rehaussement des compétences par le biais de la formation. Ainsi, le gouvernement encouragera les individus les plus éloignés du marché de l’emploi à prioriser certaines formations permettant de décrocher un emploi dans des secteurs jugés en demande. Les syndicats peuvent participer au dialogue sein d’instances partenariales afin d’assurer une bonne intégration de ces personnes au marché de l’emploi.

En ce qui a trait à l’intégration des personnes marginalisées du marché de l’emploi, il importe que ces dernières ne soient pas considérées comme du cheap labor, mais qu’elles puissent réellement se réaliser sur le marché du travail et qu’elles puissent y trouver la possibilité de se sortir d’une situation de pauvreté ou de précarité et l’accompagnement spécifique pour y arriver. Consultez notre article sur les conditions de travail décentes.

Dans la même veine, l’intégration des personnes immigrantes doit se faire avec vigilance, car il faut s’assurer que les efforts de francisation et d’intégration soient bien menés et que les compétences des travailleurs immigrants et des travailleuses immigrantes soient reconnues. Notre société ne sera pas gagnante si sa main-d’œuvre immigrante se retrouve dans des emplois en deçà de ses qualifications et ne peut pas réellement intégrer la société québécoise.

Finalement, en contexte de rareté de main-d’œuvre, la formation continue peut et doit être développée pour rendre plus polyvalents les travailleurs et les travailleuses, afin de les doter de compétences qualifiantes, transférables et reconnues, et ainsi éviter de cantonner une partie de la main-d’œuvre aux stricts besoins immédiats de certains secteurs.

Par le biais de son implication au sein d’instances comme la CPMT ou le CCTM, et en soutenant les travailleurs et les travailleuses qui désirent se syndiquer, l’action syndicale de la CSD joue ainsi un rôle positif et contribue à ce que la rareté de main‑d’œuvre soit résorbée sans que les travailleurs et les travailleuses finissent par occuper un travail mal payé ou ne permettant pas de s’y réaliser.