ouvrier qui travaille le métal

Luc Vachon
Président de la CSD

Le projet de loi 59, déposé en octobre 2020 par le ministre Jean Boulet, constitue la tentative la plus aboutie de moderniser le régime de santé et de sécurité du Québec, une modernisation rendue bien nécessaire. En effet, si l’adoption de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST) en 1979 a permis au Québec d’être à l’avant-garde en Amérique du Nord en matière de prévention dans les milieux de travail, ainsi que l’adoption en 1985 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) portant sur l’indemnisation et la réadaptation, ces lois n’ont jamais été revues, et ce, malgré les transformations du travail et l’évolution des connaissances scientifiques.

Ainsi, encore aujourd’hui, à peine 25 % de la main-d’œuvre québécoise est couverte par au moins un des mécanismes de prévention prévus à la LSST, tandis que la construction, l’industrie la plus dangereuse du Québec, reste insuffisamment couverte. Quant à la LATMP, trop souvent les employeurs contestent les demandes d’indemnisation pour éviter que ces dernières se répercutent sur leurs cotisations. De plus, la reconnaissance des maladies professionnelles y reste difficile, la liste des maladies reconnues n’ayant pas bougé malgré l’évolution de la science.

Gardons aussi en tête que, depuis quelques années, le nombre de lésions professionnelles est en hausse au Québec. Ce portrait navrant confirme que les milieux de travail restent des milieux qui peuvent être dangereux pour les travailleurs et les travailleuses et que moderniser régime de santé et de sécurité du travail est plus que nécessaire.

Malheureusement, le projet de loi 59 n’amène pas une évolution, mais plutôt une régression. Il est vrai qu’il prévoit étendre les mécanismes de prévention de la LSST à la majorité des milieux de travail et la quasi-totalité de la main-d’œuvre québécoise.

Cette extension se réalise toutefois au prix de la dilution et de l’affaiblissement des mécanismes de prévention. La LSST est en effet fondée sur un principe fort, le paritarisme, soit la pleine participation des travailleurs et des travailleuses aux efforts de prévention avec l’employeur, et a pour objectif l’élimination des dangers à la source. Or, le projet de loi 59 s’en prend au paritarisme, une posture qui ne contribuera pas réduire les accidents du travail.

Notamment, le projet de loi 59 prévoit que les mécanismes de prévention prévoyant la participation des travailleurs et des travailleuses sont affaiblis (diminution de la fréquence des rencontres et du nombre de membres du comité de santé et de sécurité, réduction des heures libérées du représentant en santé et sécurité). On réduit de plus la redevabilité de l’employeur vis-à‑vis la santé publique, car il peut élaborer le volet de santé au travail de son programme de prévention presque en vase clos.

Le projet de loi 59 prévoit aussi moduler la portée des mécanismes de prévention en fonction du niveau de risque des industries. Toutefois, nous constatons que l’exercice sous-évalue grandement le risque de plusieurs secteurs. Ceci a pour conséquence que des secteurs dangereux aussi variés que la production laitière, la transformation du métal ou la santé mettraient en branle des mécanismes de prévention inférieurs aux besoins réels.

Cherche-t-on à niveler vers le bas la prévention au travail? Ces modifications affaiblissent la participation des travailleurs et des travailleuses aux efforts de prévention, même s’il est reconnu que la participation complète de ces derniers est essentielle à une prévention réussie. Moins redevable envers les travailleurs et les travailleuses, ainsi qu’envers la santé publique, l’employeur gagne davantage de marge de manœuvre pour agir en matière de prévention comme bon lui semble.

Quant au volet réparation du régime de santé et de sécurité, c’est-à-dire la prise en charge des travailleuses et des travailleurs quand la prévention a failli à la tâche, le projet de loi 59 ne vise qu’à réduire les droits des victimes de lésions professionnelles en donnant plus de pouvoirs à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) et en facilitant la contestation de l’avis du médecin traitant, celui qui connaît le mieux la condition de son patient ou de sa patiente.  Ces modifications envoient comme message que les changements avancés en matière de prévention se font au détriment de la réparation. Les employeurs, quant à eux, pourront toujours continuer de contester à outrance les demandes d’indemnisation des victimes.

Nous saluons la volonté du ministre Boulet de mener à bien une réforme du régime de santé et de sécurité du Québec. Il s’agit d’un enjeu très complexe, hautement politique et divisif.  Cependant, pour réussir la modernisation du régime, le ministre doit revoir son projet de loi. Si nous saluons le fait que les mécanismes de prévention couvriront la quasi-totalité des milieux de travail, nous jugeons que ces derniers n’auront au final que peu d’impacts, dans la mesure où le projet de loi 59 affaiblit leur fonctionnement et sous-estime le niveau de risque des entreprises.

Considérant comment le projet de loi reconfigure le paritarisme à l’avantage de l’employeur et restreint l’accès à l’indemnisation et la réadaptation, nous craignons que celui-ci ne respecte pas l’intention première qui a mené à l’adoption de la LSST, soit de s’assurer que tous participent aux efforts de prévention. C’est toute la classe des travailleurs et des travailleuses du Québec qui en pâtira – et cela est encore plus vrai pour ceux et celles qui ne sont pas syndiqués !