Par Luc Vachon, président de la Centrale des syndicats démocratiques (CSD)

Alors que les avancées technologiques, la délocalisation, les changements dans l’organisation du travail, les transformations des structures d’entreprises et la montée du travail à distance et du commerce en ligne redéfinissent le paysage du travail, nos lois n’ont clairement pas suivi le rythme. Résultat : les travailleuses et travailleurs, syndiqués ou non, se retrouvent vulnérables face à des entreprises qui, trop souvent, privilégient leurs intérêts économiques au détriment des personnes qu’elles emploient et je dirais même, de la société dans laquelle elles font des affaires.

Au Québec, il est alarmant de constater à quel point il est facile pour une entreprise de contourner ses obligations, de fermer ses portes ou de se dérober à ses responsabilités. Les exemples récents d’Amazon et de Brandt Tractor exposent des pratiques qui, bien qu’inacceptables, demeurent largement impunies.

Prenons Brandt Tractor à Saguenay : un petit groupe de salariés laissés sans convention collective depuis plus de quatre ans, plongés dans un conflit de travail depuis près de deux ans, sont confrontés à un employeur qui bafoue les lois et ignore des ordonnances judiciaires. Ces situations révèlent un déséquilibre criant dans le rapport de force entre employeurs et travailleurs. Un déséquilibre qui ne cesse de s’agrandir.

Un cadre législatif dépassé

À leur origine, les lois du travail visaient à assurer un niveau de protection des travailleuses et travailleurs, ainsi que de réels moyens d’améliorer leurs conditions de travail et de vie en leur procurant un plus grand équilibre du rapport de force face à leur employeur. Ce principe a d’ailleurs été confirmé par les tribunaux au fil des années. Il ne doit cependant pas devenir que théorique.

Il est impératif que nos lois inversent le fardeau de la preuve. Les entreprises devraient être tenues de démontrer devant un tribunal que leurs décisions sont justifiées par des raisons économiques réelles. Si une telle justification ne peut être apportée, des sanctions exemplaires devraient être imposées et des dommages significatifs devraient être versés aux salariés qui sont victimes de ces pratiques. Ces mesures sont nécessaires pour rétablir un équilibre minimal des rapports de force sur le marché du travail.

Un changement de paradigmes s’impose

Ce qui est aussi fort inquiétant, c’est cette montée du courant social contre le syndicalisme. Alors qu’on assiste à une fermeture d’établissements d’une entreprise multi milliardaire comme Amazon, il est inconcevable que les premières réactions tentent de pointer du doigt la démarche de syndicalisation comme étant la coupable. Les réactions devraient être une profonde indignation devant le comportement de cet employeur envers ses employés et son déni de leur droit d’améliorer leurs conditions.

Il est profondément désolant que quasi systématiquement, dans chaque négociation ardue ou conflit de travail, les syndicats soient identifiés comme étant les responsables alors que les entreprises sont exonérées de tout blâme. Le mouvement syndical, bien sûr, n’est pas parfait, mais il ne faudrait pas ignorer ses contributions importantes dans le filet social québécois et dans l’amélioration des conditions de travail des personnes syndiquées et implicitement des personnes non syndiquées et de l’ensemble de la société.

Un mépris du syndicalisme et un déni de ses apports mènent à son affaiblissement et conduiront inévitablement à un nivellement vers le bas des conditions de travail et de vie l’ensemble de la société.

Le Québec ne peut plus tolérer des lois du travail qui permettent aux entreprises de contourner leurs obligations sans conséquence

Un changement de vision s’impose. Il est temps d’adopter un cadre législatif qui protège réellement les droits fondamentaux des travailleuses et travailleurs. Nous pouvons bâtir un monde du travail où la dignité de chacun et chacune est respectée, où les abus sont dissuadés, et où les pratiques antisyndicales appartiennent au passé. Non seulement les personnes syndiquées en bénéficieront, mais le Québec en entier.