1. Baisse d’impôt : quelle est la promesse?

Lors de la campagne électorale de l’automne 2022, François Legault et son candidat au poste de ministre des Finances, Éric Girard, ont promis « une baisse d’impôt responsable pour la classe moyenne »[1]. Ils proposaient de réduire d’un point de pourcentage les deux premiers paliers de la table d’imposition. Ainsi, la première tranche de revenus de 17 000 $ à 49 000 $ serait imposée à 14 % au lieu de 15 % et les revenus entre 49 000 $ et 99 000 $, à 19 % au lieu de 20 %[2]. Cette baisse d’impôt représentera une réduction des revenus de l’État de 1,9 milliard par année.

Pour mettre de l’avant cette proposition comme représentant une solution crédible aux différents problèmes qui assaillent les Québécoises et Québécois, la CAQ multiplie les affirmations tendancieuses. Nous prenons ici le temps d’en examiner les impacts réels et nous démontrons que, bien qu’alléchante à première vue, cette baisse d’impôt est tout sauf « responsable » et positive.

2. Les baisses d’impôt n’aident pas la classe moyenne

Pour justifier la mécanique proposée pour sa baisse d’impôt, la CAQ dit vouloir aider les travailleuses et travailleurs de la classe moyenne, plus précisément ceux gagnant entre 20 000 $ et 80 000 $, qui sont confrontés à l’explosion des prix. Or, la réduction des taux des deux premiers paliers d’impôt n’a presque aucun effet pour ceux qui gagnent autour de 20 000 $ et atteint sa valeur maximale si on gagne 100 000 $ et plus.

 Impact de la baisse d’impôt proposéeSalaire annuelRabais d’impôt
Marwa, caissière au salaire minimum24 000 $50 $
Rodrigue, agent administratif47 000 $250 $
Marcelino, bibliothécaire66 000 $428 $
Rita, PDG d’un centre hospitalier (CISSS)350 000 $814 $

3. Le Québec n’a pas les moyens de se priver de 1,9 G$

Difficile de résister à l’attrait d’une réduction d’impôt. Dans le contexte actuel où les prix explosent plus vite que les revenus, un peu d’oxygène au niveau de la fiscalité semblerait aidant si elle ne se faisait pas au détriment de notre capacité collective d’offrir des services publics à la hauteur de nos besoins. Cette promesse réduira les moyens financiers de Québec de 1,9 G$ par année ou de plus de 7 G$ sur les 4 ans du mandat de la CAQ.

1,9 G$, cela représente environ :

  • 25 000 employés de plus dans le réseau de la santé et services sociaux (préposées, personnel administratif, infirmières et techniciennes);
  • ou plus de 150 000 places en CPE ou en milieu familial;
  • ou le financement direct pour 3 nouvelles stations de métro aux 2 ans;
  • ou cela permettrait de multiplier par 5 les investissements en électrification des transports;
  • ou cela permettrait la gratuité scolaire universelle en enseignement supérieur, cette dernière étant estimée à 1,2 G$[3].

4. Les baisses d’impôt entraîneront des compressions budgétaires

Le gouvernement prétend que ces baisses d’impôt n’entraîneront pas de compressions dans les services publics parce que les sommes requises proviendront d’une réduction des versements au Fonds des générations (le Fonds) et non d’une réduction du financement des services. Le gouvernement entend plafonner les versements au Fonds à un maximum de 3 G$ par année.

Cette prétention est fausse! Par exemple, pour l’année 2023-2024, les versements prévus au Fonds sont de 3,9 G$, ce qui laisse 0,9 G$ de marge pour les baisses d’impôt. Comme le coût total des baisses d’impôt en 2023-2024 est estimé à 1,9 G$, il faudra aller faire près de 1 G$ de compressions (plus précisément 0,9 G$) pour combler la différence afin de procéder aux baisses d’impôt. Ce scénario est le même les années suivantes.

Comme le montre bien Le cycle de l’austérité, tel qu’illustré par l’IRIS ci-dessous, baisser les impôts est en fait le meilleur moyen de s’assurer de diminuer la taille de l’État et donc les services offerts à la population.

Source : Institut de recherche et d’informations socio-économiques (2018), Le cycle de l’austérité, https://iris-recherche.qc.ca/blogue/autre/austerite/.

5. Une fiscalité avantageuse

Pour justifier la priorité accordée à la promesse de baisse d’impôt, le gouvernement rappelle souvent que le Québec est la juridiction nord-américaine où les impôts sur le revenu sont les plus élevés. La comparaison avec notre voisin l’Ontario revient immanquablement.

Une fiscalité nette souvent avantageuse

Sans être fausse, cette comparaison est trompeuse puisqu’elle oublie de prendre en compte les transferts et les aides financières offertes par les gouvernements (soutien et allocation aux enfants, prime au travail, crédit de solidarité et allocation pour travailleurs, etc.) Si l’on compare cette fiscalité nette, on constate que la fiscalité québécoise est avantageuse pour un grand nombre de ménages, particulièrement lorsqu’ils ont des enfants[4].

 Revenu annuelCharge fiscale nette QuébecCharge fiscale nette Ontario
Couple sans enfants52 500 $8,2 %13,6 %
Couple avec 2 enfants dont un en service de garde105 000 $19,6 %25,8 %
Famille monoparentale avec un enfant à l’école40 000 $-7,8 %-1,7 %

Des tarifs moins élevés

En contrepartie du recours important à l’impôt sur le revenu, le Québec a fait le choix politique de maintenir ses tarifs et frais liés aux services publics plus bas. Ce choix permet une meilleure répartition de la richesse.

Si l’on met les tarifs dans la balance, l’avantage revient clairement au Québec.

 QuébecOntarioAvantage Québec
6 mois de transport en commun[5]564 $ (94 $/mois à Montréal)936 $ (156 $/mois à Toronto)372 $
1 an d’électricité pour une maison unifamiliale (22 000 kWh)[6]1672 $3058 $1386 $
Frais de scolarité universitaires[7]4409 $9001 $4592 $
Service de garde (après crédits)[8]1807 $9486 $7679 $

6. Les baisses d’impôt ne sont pas une bonne solution pour faire face à l’inflation

Le gouvernement soutient que baisser les impôts est une bonne façon d’aider la population à faire face à la hausse des prix actuelle.

Ce que le gouvernement ne dit pas, c’est que la table d’impôt et les paramètres du régime fiscal sont déjà ajustés chaque année pour tenir compte de l’inflation et de la hausse des revenus et des salaires. Ainsi, en 2023, la table d’impôt sera ajustée de 6,44 %. Cette indexation représente un allégement fiscal de 2,2 G$. En d’autres mots, le gouvernement accorde déjà, par cette indexation, une baisse d’impôt de 2,2 G$ pour 2023.

Pas besoin d’en ajouter pour combattre l’inflation! D’autant plus que les baisses d’impôt n’aident aucunement les ménages à très faible revenu, soit ceux qui sont le plus affectés par l’inflation. Il y aurait tellement d’autres choses que le gouvernement pourrait faire pour soulager ces ménages qui en ont le plus besoin (geler les tarifs gouvernementaux, mieux contrôler les loyers et financer davantage les logements sociaux, par exemple).

7. Les baisses d’impôt augmenteront les iniquités entre les générations

Si une majorité d’économistes et d’observateurs des finances publiques sont d’avis que la CAQ devrait renoncer à sa promesse de baisse d’impôt, les arguments mis de l’avant ne font pas toujours consensus. Plusieurs voix s’élèvent pour dénoncer le « détournement du Fonds des générations ».

Nous ne partageons pas cette vision. Pour nous, le Fonds des générations a terminé sa mission, la réduction de la dette du Québec a dépassé les objectifs fixés au début des années 2000. On doit cesser immédiatement d’y verser des milliards de dollars et les utiliser pour investir dans les services publics et les programmes sociaux. Une réelle équité intergénérationnelle exige que nous offrions à nos enfants l’accès à une éducation de qualité, à un système de santé public accessible, à des infrastructures en bon état et que nous assurions que notre économie s’adapte rapidement aux exigences d’une transition écologique juste.

Ministère des Finances du Québec, 2022, Statistiques budgétaires du Québec – Décembre 2022.

8. Investir dans les services publics plutôt que baisser les impôts

Les services publics font les frais de compressions et de sous-investissement depuis fort longtemps. On se souvient de l’austérité libérale sous le gouvernement Couillard, mais celle-ci ne venait que s’ajouter à des compressions passées.

Le résultat est qu’aujourd’hui, dans un contexte où les besoins sont grandissants, les services publics atteignent différents points de rupture : les urgences ferment temporairement, le nombre de chirurgies en attente explose, les délais pour des services en santé mentale, pour la protection de la jeunesse ou pour les soins à domicile pour les aînés s’allongent énormément, etc. Et cette situation n’est pas exclusive au réseau de la santé et des services sociaux. En éducation, le personnel enseignant non légalement qualifié grimpe sans cesse, les services pour les élèves à besoins particuliers sont souvent inaccessibles, on demande à des parents de garder leurs enfants lors de journées pédagogiques à cause du manque d’éducatrices et d’éducateurs en services de garde en milieu scolaire. Le tout, sans parler de la difficulté pour les parents à obtenir une place en services de garde éducatifs à la petite enfance.

Bref, c’est à des crises multiples dans les services publics que nous assistons actuellement, et c’est là qu’il faut investir les ressources pour offrir des services de qualité à la population.

9.Un Québec plus égalitaire grâce à l’impôt

Les impôts que nous payons servent à partager la richesse et à rendre la société québécoise plus égalitaire. Ici comme ailleurs, les inégalités de revenu avant impôt ont augmenté depuis le milieu des années 1970. Heureusement, les contributions fiscales et les aides financières qu’elles financent (qu’on appelle les « transferts ») ont permis une évolution opposée au cours de la même période, soit une réduction des inégalités du revenu après impôt.

Aujourd’hui, le Québec est la deuxième province qui réduit le plus les inégalités grâce aux impôts et aux transferts. Cela aide à faire du Québec une société qui offre à chaque personne une réelle possibilité de mener une vie pleinement satisfaisante et épanouissante. C’est un bienfait pour toutes et tous qu’il ne faut pas perdre!


[1] Plateforme électorale de la CAQ : https://coalitionavenirquebec.org/wp-content/uploads/2022/09/caq-plateforme-coalition-avenir-quebec-2022-1.pdf.

[2] Les chiffres prévus sont : 17 183 $, 49 275 $, 98 540 $.

[3] https://iris-recherche.qc.ca/publications/peut-on-realiser-la-gratuite-scolaire-au-quebec/.

[4] https://cffp.recherche.usherbrooke.ca/wp-content/uploads/2023/01/cr2023-02_bilan_de_la-fiscalite_au_Quebec.pdf et https://cffp.recherche.usherbrooke.ca/wp-content/uploads/2023/02/cr2023-04_famille-et-fiscalite-2023-F.pdf.

[5] https://www.ttc.ca/Fares-and-passes et https://www.stm.info/sites/default/files/pdf/fr/tarifs.pdf.

[6] https://www.hydroquebec.com/residentiel/espace-clients/tarifs/prix-electricite-ici-ailleurs.html.

[7] https://www150.statcan.gc.ca/t1/tbl1/fr/tv.action?pid=3710012101.

[8] https://cffp.recherche.usherbrooke.ca/wp-content/uploads/2023/02/cr2023-04_famille-et-fiscalite-2023-F.pdf.