Un groupe de personnes qui se tiennent debout.

Par Jacqueline de Bruycker

« Si la diversité est synonyme d’ouverture, d’inclusion, il y a, aujourd’hui encore, des femmes et des hommes qualifiés et expérimentés qui sont écartés du monde du travail ou confinés dans des emplois subalternes sous-payés.

Il y a encore des femmes et des hommes qui sont victimes de discrimination, de harcèlement, de violence physique ou psychologique, et cela, à cause de leur sexe, de leur âge, de leur origine ethnique, de leur religion, de leur handicap, de leur orientation sexuelle, mais aussi de leur état de santé (grossesse, VIH), de leur apparence physique (taille, poids). La compétence est donc bien loin d’être la principale porte d’entrée à l’emploi. »

C’est par ces mots que le président de la Centrale des syndicats démocratiques (CSD), François Vaudreuil, a lancé le colloque « Ensemble dans l’action, par delà nos différences », qui s’est tenu au Centre des congrès de Trois-Rivières les 11 et 12 novembre 2011 et auquel quelque 280 délégués ont participé.

Il a invité ces délégués à faire table rase des barrières, des stéréotypes et des préjugés afin d’assurer à toutes les travailleuses, tous les travailleurs la même égalité de chance et de traitement, qu’il s’agisse de favoriser l’accès à l’emploi des personnes handicapées, d’intégrer la main-d’œuvre immigrante, d’assurer une plus grande mixité au travail, de faire une place dans nos milieux de travail aux jeunes comme aux plus âgés, de condamner et combattre les pratiques homophobes.

Mais pour cela, il faut vaincre la peur de la différence, car « l’autre dérange, il est différent. Sa différence, quelle qu’elle soit, nous agace, nous frappe, nous met mal à l’aise, voire nous fait peur, si bien qu’elle se traduit en termes de rejet, d’isolement et finit par devenir source d’exclusion et de discrimination », a-t-il reconnu.

Le défi de la pluralité

Ce défi confronte l’ensemble de la société québécoise, et plus particulièrement les entreprises, les organisations, d’autant qu’il s’inscrit dans le contexte d’un vieillissement accéléré de la population. Alors qu’il faudra quelque 60 ans aux États-Unis pour faire passer la proportion des 65 ans et plus dans la population totale de 12 à 24 %, le Québec le fera en deux fois moins de temps, soit en un peu plus de 31 ans[1]. Ce qui aura et a déjà une conséquence directe pour la main-d’œuvre, alors que le nombre de personnes en âge de travailler diminue au fil des années : en 1971, il y avait 7,8 travailleurs potentiels pour chaque personne de 65 ans et plus. En 2030, au Québec, le ratio sera de 2,1 pour un.

Aussi, François Vaudreuil considère-t-il que face à cette réalité démographique, les entreprises, ont tout intérêt à jouer la carte de l’ouverture en élargissant leur bassin de recrutement à des groupes négligés ou ignorés et surtout à bien gérer la diversité afin de les intégrer et les retenir en emploi. Ce qui est encore loin d’être le cas aujourd’hui.

À titre d’exemple, il souligne que, d’après les données du recensement de 2006, 40 % des personnes handicapées de 15 à 64 ans occupaient un emploi, la proportion était de 73 % pour les personnes du même âge sans incapacité. En ce qui concerne les personnes immigrantes, on estimait, en 2009 au Québec, que 13,7 % d’entre elles étaient en chômage, soit presque le double de celui des natifs du Canada (7,6 %). Mais le taux de chômage grimpe à plus de 22 % chez les immigrants arrivés au Québec depuis cinq ans ou moins.

Les chiffres sont difficiles à établir pour les gais et les lesbiennes. L’ouverture ou la fermeture du milieu de travail par rapport à l’homosexualité influe, en effet, sur leur choix de divulguer ou de dissimuler leur orientation sexuelle.

Pour François Vaudreuil, la diversité apparaît de plus en plus comme un facteur de croissance pour les entreprises et d’adaptation aux constantes variations du contexte socio-économique, non seulement à cause des changements démographiques, mais aussi à cause de la globalisation de l’économie, du développement vertigineux des technologies, des communications.

« Pourtant, enchaîne-t-il, il y a des entreprises qui, confrontées à la diversité, refusent d’agir, de mettre en place de nouvelles pratiques d’accueil et de gestion afin de refléter au sein de leur personnel la diversité de la société québécoise et d’en garantir le respect. Persuadées qu’il s’agit là d’un champ d’action qui n’est pas de leur responsabilité, elles laissent aller le cours des choses. Une stratégie vouée à l’échec, si on en juge, à titre d’exemple, par les luttes que continuent de mener les femmes sur les fronts de l’égalité professionnelle et de l’équité. »

D’autres entreprises se contentent de réagir, d’éteindre les feux, de régler les conflits générés par la présence d’une main-d’œuvre de plus en plus diversifiée ou encore de se conformer, au strict minimum, aux normes et aux lois en vigueur.

Une piste intéressante : la Charte de la diversité

Plusieurs pays, dont la Belgique, ont adopté une Charte de la diversité, incitant entreprises et syndicats à la signer. Les milieux de travail signataires s’engagent ainsi, au-delà du simple respect du cadre légal, à lutter contre les « discriminations en emploi, socialement dangereuses et économiquement coûteuses »[2] et à mettre en place une démarche en faveur de la diversité, offrant « à chacun et chacune des opportunités d’emploi et de carrière en lien avec ses compétences et aspirations, s’inscrivant dans le respect de l’égalité des droits et de traitement de tous les travailleurs (avec ou sans emploi) et se traduisant par des mesures et des résultats concrets en la matière ».[3]

Sur le terrain, cela se traduit par un éventail de mesures, d’actions qui touchent aussi bien l’accueil et l’intégration des nouveaux que les procédures de recrutement et de sélection du personnel ou qui visent à augmenter le nombre de femmes à des postes de responsabilité, à proposer des aménagements pour les personnes handicapées, à dispenser au collectif de travail des formations sur les attitudes et les comportements à privilégier, à corriger ou à bannir dans un contexte de pluralité. Ou encore à créer des lieux et des espaces d’échanges et de discussions.

Un défi stimulant

François Vaudreuil a rappelé que le projet CSD « est solidement arrimé à des valeurs comme la primauté de la personne, l’autonomie, la justice, la solidarité, l’équité, la démocratie, et non axé sur les structures. Quant à notre action syndicale, elle s’évalue en fonction de différents critères, dont le partage, la relève, la communication, la capacité de mobilisation. C’est donc à travers ces deux prismes que nous devons au sein des instances de la centrale et de nos syndicats affiliés réfléchir à de nouvelles façons de faire plus inclusives et plus équitables ».

Le défi est non seulement d’être à l’avant-garde de la lutte contre toutes les formes de discrimination en emploi, mais aussi d’être proactifs pour favoriser dans chaque milieu de travail une intégration professionnelle et sociale de tous, au-delà de leurs différences. « Être à l’écoute de l’autre, communiquer, sensibiliser, former, encourager et promouvoir toute démarche d’ouverture sur le monde, créer un climat d’acceptation et de confiance, voilà une variété d’actions à notre disposition pour lutter contre la discrimination. Sans oublier la négociation avec les employeurs pour l’éradiquer des milieux de travail. »

François Vaudreuil a conclu en invitant les délégués à garder en mémoire, à l’issue du colloque, le mot ENSEMBLE. « Car ce simple mot renferme une promesse, celle d’un monde inclusif, juste, respectueux et fier de sa diversité. Ce colloque est pour nous l’occasion de commencer à le bâtir, ensemble dans l’action, par delà nos différences. »


[1] Rapport synthèse de la Commission nationale sur la participation au marché du travail des travailleuses et travailleurs expérimentés de 55 ans et plus.

[2] Charte de la diversité de la région wallonne, préambule.

[3]  Ibidem

Le mot de François Vaudreuil sur la diversité

La diversité, il faut faire plus qu’en parler!

En quelques décennies à peine, le Québec est passé d’une société traditionnelle à une société moderne. D’un côté, une société homogène, coutumière, fortement ancrée dans la religion, marquée du signe de l’inégalité des sexes et de la fixité des statuts et au sein de laquelle l’autre, quelle que soit la nature de sa différence, avait plus souvent qu’autrement, peu de chances de s’épanouir. De l’autre, une société qui prône plus d’ouverture, plus d’égalité, qui se veut plus laïque et qui est beaucoup plus hétérogène, diversifiée.

Aujourd’hui, la diversité fait partie intégrante de notre vie quotidienne comme de la réalité du marché du travail. Elle exprime la variété des profils individuels qui composent une communauté, en termes d’âge, de sexe, d’orientation sexuelle, d’origine ethnique ou géographique, de culture, de langue, de religion, de handicap, d’apparence physique, mais aussi en termes de niveau d’études, de catégorie socioprofessionnelle, etc.

Le colloque de 2011 sur les facettes de la diversité

Le colloque « Ensemble dans l’action, par delà nos différences », que nous avons tenu en novembre 2011, a cerné quelques-unes des facettes de la diversité que l’on rencontre dans nos milieux de travail et surtout de la discrimination, des préjugés dont sont encore victimes aujourd’hui des femmes, des travailleuses et des travailleurs âgés, des personnes handicapées, des personnes immigrantes, des homosexuels, des lesbiennes.

Pour que la réflexion suscitée par le colloque se poursuive dans les milieux de travail et débouche sur des actions concrètes, il faut sans cesse l’alimenter. C’est pourquoi, en plus de partager les principales réflexions qui y ont été dégagées, nous les enrichissons en proposant des articles sur la situation des femmes dans l’industrie de la construction, sur les travailleuses et les travailleurs âgés, sur les personnes handicapées ainsi que sur les difficultés d’atteindre les objectifs visés par les programmes d’accès à l’égalité.

Un exemple frappant : la diversité ethnoculturelle

La diversité est plurielle et chacune de ses composantes mérite une attention particulière. Prenons l’exemple de celle qui fait de plus en plus débat sur la place publique : la diversité ethnoculturelle

Les statistiques établissent qu’en 2011, la population du Canada née à l’étranger représentait 20,6 % de la population, la plus forte proportion des pays du G8. Le Groupe des huit se définit comme un groupe informel de discussion entre les chefs d’Etats et de gouvernement de pays parmi les plus puissants du monde au plan économique, soit les États-Unis, le Japon, l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni, l’Italie, le Canada et la Russie.

Selon les données émanant de l’Enquête nationale auprès des ménages (ENM), une personne sur cinq au Canada est donc née à l’étranger.

Sachant que l’emploi est, pour un immigrant, le meilleur moyen de s’intégrer dans une nouvelle société, le Québec affiche à cet égard un bilan peu reluisant. Car même s’ils sont généralement plus scolarisés que la moyenne des Québécois d’origine, les immigrants et notamment les minorités « racisées », sont surreprésentés dans des emplois peu rémunérés, ils disposent donc de revenus d’emploi inférieurs et subissent des taux de chômage supérieurs.

En 2011, le taux de chômage des immigrants était de 14,2 % contre 7,1% pour les Québécois, selon une note socio-économique publiée en novembre 2012 par l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS).

Dans cette note, l’IRIS souligne que « les immigrants connaissent des difficultés significatives et grandissantes en matière d’insertion en emploi et d’intégration socio-économique, ce qui donne lieu à un inquiétant problème d’inégalité sociale ».

Plusieurs facteurs pénalisent les immigrants et compromettent leur intégration. À titre d’exemples, le manque de reconnaissance de leurs diplômes et de l’expérience de travail qu’ils ont acquise en dehors du Québec, le corporatisme des ordres professionnels, la déqualification professionnelle, leur manque de connaissance du marché du travail québécois et des codes culturels, la barrière linguistique, un mauvais arrimage entre l’immigration et les besoins du marché du travail et, bien évidemment, la discrimination directe à l’embauche.

Ne considérer les immigrants que comme du capital humain, c’est occulter l’importance de leur contribution aussi bien au développement social qu’à l’enrichissement culturel du Québec.

Ouvrir le dialogue

La diversité ethnoculturelle n’est qu’un exemple parmi d’autres. Il démontre que chaque travailleuse, chaque travailleur a la responsabilité d’ouvrir le dialogue avec ceux dont le sexe, l’âge, la culture, la religion, l’apparence physique, l’orientation sexuelle sont différents des leurs. En s’ouvrant aux autres et en facilitant leur intégration, ils empêcheront leur exclusion, leur marginalisation tout en renforçant la cohésion au sein des milieux de travail comme de la société.

Mais au-delà des attitudes et des comportements individuels, chaque syndicat affilié doit prendre la mesure de la diversité dans son milieu de travail et assumer pleinement son rôle d’agent de changement en préparant un plan d’action et en le négociant avec l’employeur.

Par ce geste concret, il donnera ainsi tout son sens aux valeurs qui nous rassemblent et nous inspirent, dont la primauté de la personne. Au nom de ces valeurs, nous nous devons d’offrir à toutes les travailleuses, à tous les travailleurs l’opportunité de vivre dans la dignité et le respect, à l’abri des discriminations et des préjugés.

François Vaudreuil
Président
Centrale des syndicats démocratiques