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Les risques du libre-échange: quand les mots ne veulent plus rien dire
Le libre-échange évoque quelque chose de presque noble et ne laisse présager aucun risque. Qui en effet peut être contre la liberté et les échanges ? On pense spontanément à la libre circulation des marchandises, voire des services, entre les pays.
Or, cette libre circulation a bien peu à voir avec les accords de libre-échange modernes. En effet, les tarifs douaniers sont déjà très faibles. Libre-échange est plutôt un mot paravent qui cache ce qui se négocie vraiment : la protection des « droits » des investisseurs étrangers, le monopole prolongé sur les droits de propriété intellectuelle et le nivellement vers le bas des normes sociales et environnementales.
Le Canada a signé 15 accords de libre-échange avec 51 pays. Les plus importants au niveau économique sont:
- L’Accord Canada-États‑Unis-Mexique (ACÉUM) en 2018. L’ACÉUM a remplacé l’ALÉNA, qui liait les mêmes trois pays depuis 1994. ;
- Le Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP) avec les pays de l’Asie et du Pacifique en 2016;
- L’Accord économique et commercial global (AECG) avec les pays de l’Union européenne en 2016.
Plus précisément, les accords de libre-échange minent la souveraineté des pays en permettant aux grandes entreprises privées de poursuivre les gouvernements si ces derniers adoptent des mesures pouvant nuire à leurs investissements, même si l’action gouvernementale vise à protéger la population ou l’environnement. Ces poursuites se font devant des tribunaux privés composés d’arbitres qui ont tout intérêt à ce que les entreprises gagnent leur cause s’ils veulent être nommés arbitre à nouveau. On se souviendra comment de nombreuses voix ont vivement dénoncé le fameux article 11 de l’ALENA, qui instituait un tel mécanisme d’arbitrage favorisant les investissements privés au détriment de la souveraineté des pays.
Un exemple de poursuite avec l’ALÉNA au Canada
Le gouvernement du Canada a été poursuivi en 2012 par la compagnie Lone Pine, basée aux États-Unis, pour le moratoire imposé par le gouvernement du Québec sur l’exploration du gaz de schiste dans l’estuaire du Saint-Laurent. Le moratoire vise protéger l’approvisionnement en eau potable d’une grande partie de la population du Québec, mais, en vertu de l’ALÉNA, cette mesure pourrait être considérée comme une expropriation, ce qui pourrait coûter 119 millions de dollars aux contribuables canadiens. La cause est toujours pendante au moment d’écrire ces lignes.
Dans un moment de candeur qu’il doit aujourd’hui regretter, le PDG d’alors de la compagnie d’ingénierie helvético-suédoise ABB, Perry Barnevik, avait résumé très justement, en 1995, la vision de la mondialisation des entreprises transnationales :
Je définirais la mondialisation comme la liberté pour mon groupe d’investir où il veut, le temps qu’il veut, pour produire ce qu’il veut, en s’approvisionnant et en vendant où il veut et en ayant à supporter le moins de contraintes possible en matière de droit du travail et de conventions sociales.
On est donc loin de la seule libre circulation des marchandises. Mais malgré le poids énorme des grandes entreprises dans l’orientation du développement économique qui découle de cette vision, il est possible de changer les choses. Les mobilisations citoyennes ont produit et continuent de produire des résultats. En voici un exemple.
L’échec de l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI)
L’AMI était un accord en négociation de 1995 à 1998 entre les pays de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). Cet accord visait à accorder et étendre le pouvoir aux grandes entreprises de poursuivre les États lorsque ces derniers adoptent des lois sociales ou environnementales. Plus précisément, alors qu’on retrouvait déjà de nombreux accords bilatéraux entre les pays de l’OCDE, l’AMI visait à étendre la protection des investissements étrangers à l’ensemble des pays membres, soit à la majorité des pays occidentaux, ce qui aurait permis aux entreprises d’outrepasser la souveraineté des pays membres de l’AMI.
Les négociations de l’AMI semblaient aller bon train jusqu’à ce qu’une association de consommateurs des États-Unis fasse couler le texte de l’accord. Peu après la fuite, qui a créé tout un émoi dans l’opinion publique, le premier ministre français Lionel Jospin a déclaré le 20 octobre 1998 à l’Assemblée nationale française que, s’il est normal pour un pays de transférer des éléments de sa souveraineté à un organisme international d’États, il ne doit pas transférer d’éléments de sa souveraineté à des intérêts privés. La délégation française s’est par la suite retirée des négociations.
Malgré cet écroulement spectaculaire de l’AMI, le chapitre de protection des investissements étrangers a continué d’avoir ses heures de gloire puisqu’il qu’il a été intégré à l’immense majorité des accords de libre-échange subséquents à travers le monde. Depuis une dizaine d’années, certains pays comme l’Inde, l’Afrique du Sud ou l’Australie commencent à en demander le retrait. Le nouveau traité de libre-échange qui lie le Canada aux États-Unis et au Mexique, l’ACÉUM, ne dispose pas non plus de telles prérogatives.
De l’ALÉNA à l’ACÉUM, les nouvelles contraintes imposées au rôle de l’État
L’ALÉNA a été épinglé par le candidat, puis par le président Trump, comme étant le pire accord jamais négocié par les États-Unis. Que ce soit le cas ou non, il était donc clair qu’il allait vouloir le renégocier pour donner corps à son slogan « America First ». Après avoir menacé de tout simplement abroger l’ALÉNA et après avoir imposé des tarifs prohibitifs sur certains produits mexicains et canadiens, Trump a réussi à arracher un nouvel accord baptisé Accord Canada — États-Unis — Mexique, ou ACÉUM, pour marquer la rupture avec l’ALÉNA.
Les États-Unis n’avaient depuis le début fait aucun secret du fait qu’il voulait se débarrasser du fameux chapitre 11 de l’ALÉNA, et effectivement, aucun chapitre équivalent ne figure à l’ACÉUM. Pour gagner des appuis dans sa campagne à la présidence des États-Unis, Trump avait cela dit compris qu’il devait reprendre la revendication phare des réseaux altermondialistes à travers le monde, à la différence près qu’il s’en est servi pour prétendre que le Mexique avait été le grand gagnant de l’ALÉNA parce que plusieurs emplois y avaient été délocalisés. Or, aucun pays n’a été totalement gagnant de l’ALENA. Ce sont plutôt les entreprises multinationales qui l’ont été, laissant les travailleurs et les travailleuses, les agriculteurs et les agricultrices, et les citoyens et les citoyennes subir les contrecoups de leurs décisions.
L’absence d’un équivalent du chapitre 11 au sein de l’ACÉUM doit tout de même être considérée comme une victoire puisque les pays signataires n’auront plus à craindre d’être poursuivis quand viendra le temps d’adopter des mesures pour protéger leur population ou l’environnement. C’est ce que nous revendiquions depuis longtemps en tant que Réseau québécois sur l’intégration continentale (RQIC) que la CSD a joint en 1999. Réseau qui se nomme maintenant le Réseau québécois pour une mondialisation inclusive (RQMI).
Cependant, il ne faut jamais croire que les grandes entreprises et leurs lobbyistes sont à court d’imagination pour tenter de maintenir leurs privilèges. C’est ce qui s’est produit avec l’ACÉUM. La mauvaise surprise se retrouve au chapitre 28 de l’ACÉUM, le chapitre sur les bonnes pratiques de réglementation. Encore un titre trompeur puisqu’il s’agit de rendre si compliquée la réglementation en imposant un fardeau administratif tellement élevé qu’il paralysera l’action des gouvernements et que la seule option sensée sera de déréglementer.
Voyons-en certains éléments.
- D’abord, ces bonnes pratiques de réglementation doivent répondre à des injonctions contradictoires. D’un côté, elles doivent faciliter le commerce et l’investissement internationaux et favoriser la croissance économique, et de l’autre il est admis qu’elles peuvent aider un pays à réaliser ses objectifs de politique publique, y compris en matière de santé, de sécurité et de protection de l’environnement. Mais en cas de conflit entre ces deux types d’objectifs, il est clair que les premiers auront préséance.
- De plus, chacun des trois gouvernements doit rendre publique chaque année la liste des réglementations qu’elles envisagent d’implanter dans l’année qui suit. De plus, ils doivent justifier le besoin d’une nouvelle réglementation et rendre publiques toutes les études scientifiques et toutes les données consultées. Tout cela représente un fardeau administratif considérable.
- Si les gouvernements optent pour une étude d’impact de la nouvelle réglementation, ce qui est fortement recommandé, — et étant donné le zèle libre‑échangiste du gouvernement du Canada jusqu’à maintenant, il y a de très fortes chances qu’il le fasse à chaque fois — celle-ci doit comporter une explication de la nécessité de la nouvelle réglementation, de même que du problème qu’elle est censée régler, une liste de toutes les solutions réglementaires et non réglementaires qu’il aurait été possible d’appliquer, une analyse coûts/bénéfices de chacun de ces scénarios alternatifs et les raisons pour lesquelles la réglementation proposée a été retenue par rapport aux autres.
En cette époque où la déréglementation est plutôt la norme que l’exception, il peut paraître surprenant qu’un accord dit de libre-échange aille dans autant de détails pour s’assurer que toute réglementation nouvelle soit examinée sous toutes ses coutures. Mais, il n’en est rien, parce que le but de l’ACÉUM est que tout gouvernement futur ne s’aventure pas en pareil terrain.
D’autres raisons de changer de voie
Ce qui peut et doit changer dans les échanges internationaux
Là ne sont pas les seules raisons de s’opposer au libre-échange tel qu’on le connaît au Canada depuis au moins l’entrée en vigueur de l’Accord de libre-échange (ALÉ) entre le Canada et les États-Unis, en 1989. Il y en a plusieurs autres, dont nous ne présentons ici que les principales :
L’obligation d’ouvrir les marchés publics à la concurrence internationale
Les marchés publics, à savoir les contrats par lesquels les gouvernements de tous les niveaux achètent des biens et des services, doivent être ouverts à la concurrence internationale sans pouvoir imposer aux entreprises étrangères des conditions quant au contenu national, aux achats locaux, à la main-d’œuvre employée ou aux retombées locales ou régionales.
La mise en concurrence des travailleurs et des travailleuses des pays signataires
En encourageant la mobilité de la main-d’œuvre et en mettant en compétition les lois du travail entre les pays, on met en concurrence les travailleurs et les travailleuses d’un pays contre ceux et celles de tous les autres pays signataires de l’accord, ce qui mène à un nivellement par le bas des lois sociales, du travail et de protection de l’environnement, de peur de « perdre » des investissements.
La protection des droits de propriété intellectuelle pour les entreprises pharmaceutiques
Les accords actuels de libre‑échange font en sorte que les grandes compagnies pharmaceutiques se réservent par l’allongement de la protection des brevets et des données de recherche le pouvoir d’imposer les prix qu’elles veulent sur les nouveaux médicaments, et ce, pour de longues durées. Les médicaments coûtent donc de plus en plus cher, ce qui signifie :
- Pour les
personnes assurées avec un régime public, de subir des hausses constantes de la
franchise, de la coassurance et de la cotisation au régime ; - Pour les
personnes assurées avec un régime privé, de subir des hausses de cotisation à
leur régime complémentaire de santé, des réductions de couverture ou les deux ; - Pour les
personnes non assurées (et il y en a beaucoup aux États-Unis), de continuer à
devoir choisir entre se nourrir et se soigner ;
L’érosion graduelle de la gestion de l’offre en matière agricole
Sous prétexte qu’elle fausse la concurrence, on impose les aléas du marché au secteur agricole et on attaque la gestion de l’offre, un modèle que le Canada a pourtant choisi il y a plusieurs décennies pour permettre aux agriculteurs de vivre décemment de leur production.
L’obligation de lutter perpétuellement pour que la culture ne soit pas considérée comme une simple marchandise
ll s’agit de la seule condition pour que les industries culturelles nationales puissent survivre face au rouleau compresseur états-unien.
La nécessité d’activement protéger des réseaux de production et de distribution nationaux
Dans le contexte actuel de pandémie, nous avons découvert l’importance de pouvoir s’approvisionner rapidement en matériel d’urgence sans avoir faire monter les enchères envers les productions réalisées dans d’autres pays pour être sûr de combler les besoins de notre population.
Le mouvement altermondialiste
La CSD s’est jointe au Réseau québécois sur l’intégration continentale (RQIC) en 1999 alors que se préparait le Sommet des Amériques, qui allait se tenir à Québec en avril 2001. À ce moment-là, le RQIC, fondé en 1984, avait fait le plein de pas mal toutes les composantes du mouvement altermondialiste : organisations syndicales, organismes de défense des droits, organismes de coopération internationale, groupes de femmes, fédérations étudiantes, et quelques autres.
Cette grande mobilisation autour du RQIC était due au fait que la Zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA), une espèce d’ALÉNA élargie à tous les pays des Amériques, sauf Cuba, s’en venait se négocier chez nous, dans la ville de Québec et que nous ne voulions pas laisser faire comme si de rien n’était.
Le RQIC a donc organisé le Sommet des peuples des Amériques du 17 au 21 avril, culminant avec la Marche des peuples le 22 avril 2001, qui a réuni plus de 55 000 personnes provenant des 35 pays des Amériques dans les rues de Québec. La revendication principale tournait autour du fait que le gouvernement du Canada ne devait participer aux négociations d’aucun traité à moins qu’il n’implique :
- Un processus de
négociation et d’adoption transparent et démocratique ; - La préservation
intégrale du pouvoir d’État de légiférer pour promouvoir le bien commun,
l’intérêt public, la démocratie et le respect de l’environnement ; - La primauté des
droits individuels et collectifs sur le commerce et le profit ; - L’égalité entre
les hommes et les femmes.
Par la suite, le RQIC, en concordance avec l’Alliance sociale continentale, qui regroupait l’ensemble des réseaux altermondialistes des Amériques, a organisé une consultation populaire sur la ZLÉA. Au courant de l’année 2003, de nombreuses assemblées syndicales, populaires, communautaires ont permis à leurs membres de se prononcer et ceux-ci ont rejeté massivement l’accord tel que négocié parce qu’il ne satisfaisait pas les critères jugés essentiels pour un accord réussi entre les peuples.
L’élection du gouvernement travailliste de Lula au Brésil en 2003 allait sceller le sort de la ZLÉA puisque son gouvernement et quelques autres à sa suite se sont retirés des négociations. La mobilisation populaire sur les enjeux de la ZLÉA avait réussi à faire en sorte que des partis politiques partagent le point de vue des organisations de la société civile sur les lacunes du modèle de libre-échange et agissent en conséquence une fois portés au pouvoir.
Au fil du temps, les membres de la CSD ont durci leurs positions parce que le gouvernement canadien n’a tout simplement pas écouté leurs revendications et parce que celui-ci s’est lancé dans les négociations de nouveaux accords en suivant le modèle de l’ALÉNA, parfois en pire.
Maintenant que tous ces accords sont signés, la mission du RQIC est de faire davantage d’éducation populaire sur les failles du modèle de libre-échange et d’en démontrer les risques.
Les mandats de la CSD
- Congrès de 2011: Opposition à la conclusion de l’AÉCG entre le Canada et l’Union européenne.
- Plénière de 2016 : Opposition au TPPGP entre le Canada et les pays du Pacifique.
- Congrès de 2017 :
- Inclure dans le futur ACÉUM des mécanismes d’application opérants des droits sociaux, environnementaux et du travail ;
- Abroger le chapitre sur les droits des investisseurs étrangers (le futur chapitre 28).