Articles parut dans Le Fureteur CSD sous le titre :

La coopération du travail

Une avenue à considérer et à explorer, mais pas une panacée

par Jacqueline de Bruycker

« Le modèle coopératif joue un rôle majeur dans l’économie québécoise. Pour le mouvement syndical en général, pour la Centrale des syndicats démocratiques (CSD) en particulier, ce modèle est d’autant plus pertinent qu’il s’inscrit dans la perspective de la promotion collective des travailleurs, qui vise l’avancement de leurs droits, l’amélioration de leurs conditions de vie tout en les sensibilisant à l’action collective »

Si le modèle coopératif a fait sa marque au Québec, le président de la CSD, François Vaudreuil, estime qu’il est loin d’avoir réalisé son plein potentiel. « En raison même des valeurs sur lesquelles ce modèle repose et qui s’articulent autour de la primauté de la personne, il devrait être exploité davantage. Les possibilités qu’il offre en termes de développement économique et social sont souvent méconnues, c’est là son principal handicap. Il a besoin d’une impulsion nouvelle afin de susciter parmi les travailleuses et les travailleurs le goût d’une prise en charge collective de leur devenir. »

La coopération du travail

La formule coopérative est-elle une avenue à considérer lors d’un risque de fermeture, de la vente ou du transfert d’une PME?

À cette question qui suscite de l’intérêt au sein du mouvement syndical, une brochure signée conjointement par la Centrale des syndicats démocratiques (CSD), la Confédération des syndicaux nationaux (CSN) et la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) apporte différents éléments de réflexion. Sortie au printemps 2013, la brochure au design léché a été distribuée à tous les syndicats affiliés à la CSD à l’occasion du dernier congrès [N.D.L.R. la brochure a été distribuée en avant-première aux syndicats, mais sera lancée officiellement le 28 janvier 2014].

Les auteurs dressent d’abord un bilan des coopératives en milieu de travail. Ce qu’elles sont avec chacune leurs caractéristiques : coopérative de travail, coopérative de travailleurs actionnaire ou coopérative de solidarité. Leur nombre et leur poids économique au Québec : 457 coops qui représentent plus de 13 000 emplois pour un chiffre d’affaires annuel de près de 500 millions de dollars. Quant aux valeurs qu’elles transportent, elles rejoignent celles du mouvement syndical : démocratie, autonomie, coopération, engagement, solidarité.

Le message véhiculé par la brochure est clair : une coopérative en milieu de travail, c’est une voie à explorer. Que ce soit pour fournir un nouvel apport en capital à une entreprise en croissance, pour assurer la relève d’un propriétaire de PME qui souhaite prendre sa retraite et se départir de son entreprise ou encore pour redresser la situation d’une entreprise menacée de fermeture et sauver des emplois.

Mais les trois centrales syndicales insistent sur le fait que la formule coopérative ne permet pas seulement de sauver et de créer des emplois, elle représente aussi « une avancée significative dans la gestion démocratique du travail ».

Les centrales syndicales visent, par cette revue, à informer les syndicats tout en les invitant à approfondir leur réflexion sur la coopération du travail. Tout particulièrement sur la cohabitation entre syndicat et coopérative dans une entreprise, sur les rôles impartis à chacun, sur la façon dont les travailleurs vivent leur double appartenance comme membre d’un syndicat et membre d’une coopérative.

Les auteurs insistent sur le fait que la coopération du travail est « une avenue à considérer pour favoriser l’emploi, la démocratie et même la réponse à des besoins locaux », pour contribuer au développement des territoires. Ils évoquent également qu’elles sont moins sujettes à la revente, à la délocalisation, que leur taux de survie est nettement supérieur à celui de l’ensemble des entreprises québécoises. Cependant, elles sont d’être une panacée.

Le fruit d’un cheminement

La publication de la revue n’a rien de fortuit. Elle s’inscrit en continuité aux échanges amorcés lors de la tenue du Séminaire syndical sur l’économie sociale et solidaire qui s’est tenu le 7 avril 2011, et du Forum international de l’économie sociale et solidaire (FIESS) qui a pris l’affiche à Montréal en octobre 2011.

Le premier événement a donné lieu à un tour d’horizon des réalisations menées par les centrales syndicales dans le domaine de l’économie sociale et solidaire. Une douzaine de représentants de la CSD, membres du personnel, délégués de syndicats affiliés, y ont participé. Plusieurs d’entre eux ont été appelés à faire des présentations, partageant ainsi les initiatives de la centrale dans ce domaine.

Quant au FIESS, il a regroupé 1 600 personnes dont près de 100 délégués syndicaux provenant du Québec, mais aussi d’Europe, d’Amérique latine, d’Afrique. Réunis en caucus, ils ont émis une déclaration commune dans laquelle ils soulignent que « comme l’action syndicale, le mouvement de l’économie sociale et solidaire vise à subordonner le développement économique à des impératifs sociaux. De nombreuses initiatives d’économie sociale ont été l’œuvre du mouvement ouvrier pour contrer les effets du capitalisme sauvage ».

En clôture du caucus syndical, le vice-président de la CSD Claude Faucher a insisté sur le fait qu’au-delà des différences, voire des divergences, qui peuvent exister entre le mouvement syndical et celui de l’économie sociale et solidaire, l’un comme l’autre sont des agents de changement, habités par les mêmes valeurs et animés de la volonté de bâtir au Nord et au Sud une société plus juste, plus inclusive, à l’abri de toute précarité.

La réflexion se poursuit

Ces deux événements ne sont pas restés sans lendemains. En effet, dans le cadre de l’Année internationale des coopératives, décrétée pour 2012 par l’ONU, la CSD, la CSN et la FTQ, en collaboration avec le Chantier de l’économie sociale, ont organisé un séminaire syndical sur la coopération du travail sous le thème Les coops en milieu de travail : un choix de développement?

En plus de briser de nombreux mythes et préjugés, ce séminaire a permis aux participants de saisir comment les coopératives en milieu de travail s’inscrivent dans l’économie sociale et solidaire et participent à la construction d’alternatives à l’économie néolibérale que ce soit par la conservation et la création d’emplois ou par dynamisation du développement des collectivités locales. La CSD a également témoigné des expériences concrètes qu’elle a menées en milieu de travail. Certaines  ont avorté, d’autres ont été couronnées de succès comme ce fut notamment le cas chez Filspec de Sherbrooke.

Un projet de loi sur l’économie sociale

En mars 2013, le ministre des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire, Sylvain Gaudreaultdéposait le projet de loi 27 sur l’économie sociale. Ce projet de loi a pour objet « de reconnaître la contribution del’économie sociale au développement socioéconomique du Québec, à en faire la promotion et à soutenir son développement par l’élaboration d’outils d’intervention et l’accès pour les entreprises aux mesures et aux programmes gouvernementaux de l’Administration pour les entreprises d’économie sociale ».

Un mois plus tard, en avril 2013, les trois centrales syndicales, CSD, CSN et FTQ, ont adressé à la Commission de l’aménagement du territoire, un mémoire conjoint, se présentant comme « des alliés significatifs de l’économie sociale et des partisans de son développement ». Mais sans pour autant taire leurs préoccupations. Pour elles, l’économie sociale ne doit pas se développer au détriment des services publics existants, ni se substituer à eux et devenir ainsi le prétexte à un désengagement de l’État. Une dimension qui n’apparaît pas dans le projet de loi.

En outre, l’économie sociale doit assurer la promotion et la réalisation de conditions de travail décentes, non discriminatoires ainsi que l’accès à des mesures de formation appropriées pour ses salariés. Comme le projet de loi n’en fait pas mention, les centrales syndicales demandaient que cette lacune majeure soit corrigée.

Elles recommandaient également l’adoption par le gouvernement  « d’une politique d’achat responsable dans laquelle les entreprises d’économie sociale auront leur part et même dans certaines circonstances seront privilégiées à cause de leurs impacts socioéconomiques ».

Enfin, elles réclamaient que le mouvement syndical soit représenté à la Table des partenaires en économie sociale. Le projet de loi prévoit l’institution de cet organisme chargé de conseiller le ministre responsable sur tout sujet en matière d’économie sociale.

Le 10 octobre dernier, le projet de loi 27 a été adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale. Une quinzaine d’amendements ont été apportés au texte initial, mais très peu font écho aux préoccupations exprimées par les centrales syndicales en commission parlementaire.

Un cadre élargi

En conclusion, si les centrales syndicales reconnaissent que l’économie sociale apparaît comme un choix favorisant un autre modèle de développement, elles ajoutent du même souffle que ce n’est pas « le seul choix ».

À cet effet, elles misent, entre autres, sur l’action des syndicats et de leurs salariés dans les lieux de travail afin d’améliorer les conditions de travail et d’amener les entreprises à assumer leur responsabilité sociale. Elles tablent aussi sur la vigilance et les pressions de la société civile pour empêcher tout désengagement de l’État et veiller à qu’il assume de façon appropriée ses fonctions dont celle de redistribution efficace de la richesse.

« C’est, concluent-elles, dans ce cadre élargi que se situe toute la pertinence de l’économie sociale comme contribution essentielle au développement social et à l’élargissement des espaces démocratiques. »