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Les élections fédérales de 1988 semblent tellement loin aujourd’hui que nous avons oublié qu’elles avaient porté essentiellement sur l’Accord de libre-échange Canada -États-Unis (ALE). Est-il révolu ce temps où la signature d’un accord international de cette ampleur constituait un enjeu de société majeur ? C’est ce que les gouvernements Harper et Marois voudraient nous faire croire, alors que l’Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’Union européenne (UE) est l’accord ayant la plus grande portée politique et économique que nous ayons envisagé depuis ce fameux ALE.

Même si la population n’en sait pas grand-chose, le gouvernement Harper parle des négociations les plus transparentes jamais vues. Or, n’eussent été certains textes qui ont été « coulés », nous n’en saurions à peu près rien. Et c’est une autre fuite, cette fois ébruitée de façon stratégique par le négociateur Pierre Marc Johnson lui-même, qui nous a permis d’apprendre que les producteurs fromagers du Québec seraient les premières victimes des tractations de dernière minute et que, par ricochet, l’un des piliers du système de gestion de l’offre serait ébranlé par une importation massive de fromages européens.

Les avantages de l’accord pour le Canada et le Québec sont loin d’être évidents. D’une part, depuis 1994, les entreprises canadiennes, grâce à l’Accord plurilatéral sur les marchés publics (AMP) de l’OMC, ont déjà accès aux marchés publics sous-nationaux européens « dans les mêmes conditions que les entreprises européennes », précisait le commissaire européen au commerce, Karel De Gucht, en 2012. D’autre part, après pondération selon les échanges, les produits canadiens faisaient l’objet en 2007 d’un tarif moyen de 2,2 % à l’accès au marché de l’UE. En se vantant de l’élimination de 98 % des tarifs douaniers, nos gouvernements déforment la réalité et cachent des gains bien minces.

Quant à nos propres marchés publics, on les ouvre aux Européens qui, eux, ne concèdent rien. Ainsi, 80 % de nos marchés publics municipaux et provinciaux, dont près de la moitié des contrats d’Hydro-Québec, devront faire l’objet d’appels d’offres ouverts aux entreprises européennes. Le gouvernement du Québec doit expliquer si une telle ouverture ne nous prive pas d’importants leviers de développement économique local puisqu’il deviendra « impossible, pour une province ou une municipalité, de favoriser les entreprises nationales, les entreprises dont les actionnaires sont des nationaux ou les entreprises faisant affaire localement », avançait un rapport de l’IREC en janvier 2011.

Objectifs environnementaux

Il sera également difficile d’orienter les investissements étrangers en fonction d’objectifs environnementaux ou de création d’emplois de qualité, sous peine d’être poursuivis par les multinationales devant des tribunaux internationaux non imputables. Compte tenu du fait que l’AECG contient l’équivalent du chapitre 11 de l’ALENA, il accordera des droits excessifs aux entreprises européennes qui pourront contester les mesures d’intérêt public sous prétexte qu’elles portent atteinte à leurs « droits » de faire des profits. La poursuite de l’entreprise Lone Pine Resources pour 250 millions de dollars contre le moratoire du Québec sur les gaz de schiste illustre bien ce danger.

De plus, l’AECG va comporter le prolongement de la durée des brevets pharmaceutiques, ce qui va entraîner une hausse du prix des médicaments pour le système de santé du Québec de l’ordre de 773 millions de dollars par an, selon l’Association canadienne du médicament générique.

Et comment le gouvernement fédéral peut-il prétendre que les soins de santé, l’éducation publique et d’autres services sociaux sont exclus du champ d’application de l’accord quand on sait que les règles de l’OMC ne protègent les services publics que s’ils ne sont pas offerts en concurrence avec d’autres fournisseurs ni sur une base commerciale ? Or, comme il y a de plus en plus de privé dans la santé au Québec, est-ce que l’AECG ne favoriserait pas l’accroissement de ces services privés au détriment du secteur public plutôt que l’inverse ?

Les concessions s’annoncent donc importantes et il est inquiétant de constater que la stratégie des provinces est désormais de demander des compensations à un gouvernement conservateur qui entretient les pires relations fédérales-provinciales de l’histoire du pays.

Les textes de l’AECG doivent être rendus publics au plus vite et un véritable débat public à la hauteur des enjeux doit s’engager parce que nous considérons que les règles d’adoption des accords internationaux (dépôt devant le Parlement fédéral pour 21 jours sans possibilité d’amendements et deux heures de débat à l’Assemblée nationale) sont trop contraignantes et antidémocratiques.

  • Pierre-Yves Serinet, coordonnateur du Réseau québécois sur l’intégration continentale (RQIC) Michel Lambert, directeur général d’Alternatives
  • Carolle Dubé, présidente de l’Alliance du Personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS)
  • Dominique Bernier, AmiEs de la Terre de Québec Denis Labelle, président de l’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI)
  • Claude Vaillancourt, président d’Attac-Québec
  • François Vaudreuil, président de la Centrale des Syndicats Démocratiques (CSD)
  • Véronique Laflamme, Coalition opposée à la tarification et à la privatisation des services publics
  • Jacques Létourneau, président de la Confédération des Syndicats Nationaux (CSN)
  • Suzanne Audette, 2e vice-présidente du Conseil central du Montréal métropolitain (CCMM-CSN)
  • Alexa Conradi, présidente de la Fédération des femmes du Québec (FFQ)
  • Régine Laurent, présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ)
  • Daniel Boyer, secrétaire général de la Fédération des Travailleurs et Travailleuses du Québec (FTQ)
  • François Saillant, coordonnateur du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU)
  • Dominique Peschard, président de la Ligue des droits et libertés
  • Angèle Laroche, présidente de L’R des centres de femmes du Québec
  • Caroline Toupin, Mouvement d’éducation populaire et d’action communautaire du Québec (MÉPACQ)
  • Vania Wright-Larin, Regroupement d’éducation populaire en action communautaire des régions de Québec et Chaudière-Appalaches (RÉPAC 03-12)
  • Bruno Massé, coordonnateur général du Réseau québécois des Groupes écologistes (RQGE)
  • Denis Bolduc, secrétaire général du Syndicat canadien de la Fonction publique Québec (SCFP-Québec)
  • France Latreille, directrice de l’Union des Consommateurs
  • Benoît Girouard, président de l’Union paysanne