Billets d'argent canadien: 20$, 5$ et 10$.

Monsieur le Ministre, Pendant que les budgets d’austérité se succèdent à Ottawa comme dans bien des provinces et que les gouvernements multiplient les compressions dans les services publics, les sommes qui échappent au fisc chaque année sont, elles, en constante augmentation. Ainsi, l’investissement direct à l’étranger des Canadiens dans les paradis fiscaux a connu une croissance démesurée de 1500 % en 13 ans. Le phénomène des paradis fiscaux nous force aujourd’hui à l’action politique rapide et déterminée. L’ampleur du problème est incontestable : selon Statistique Canada, en 2013, 170 milliards de dollars d’investissements directs à l’étranger étaient placés dans des paradis fiscaux ; parmi lesquels la Barbade, qui regorge si abondamment de capitaux canadiens qu’elle est aujourd’hui le troisième partenaire financier du Canada à l’échelle internationale. Selon la Banque des règlements internationaux (BRI), 50 % des transactions financières mondiales concernent des comptes extraterritoriaux localisés dans des paradis fiscaux. L’économiste James Henry a estimé qu’entre 21 000 et 32 000 milliards de dollars étaient placés dans des paradis fiscaux à l’échelle mondiale en 2010. L’accès à ces échappatoires fiscales n’est pas généralisé. Ces législations de complaisance sont réservées à une certaine élite économique constituée de banques, de grandes entreprises multinationales et de détenteurs de fortunes personnelles. Les contribuables et les petites et moyennes entreprises (PME) doivent ainsi assumer un fardeau fiscal de plus en plus grand pour financer des services de moins en moins nombreux. Lorsque les citoyens et les groupes concernés se plaignent de cette injustice fiscale, les gouvernements leur répondent qu’ils sont menottés par le contexte international, que l’interdépendance économique qui caractérise notre monde globalisé limite l’action d’un État comme le Canada.

« Arrière-gardiste »

Non seulement ces explications fatalistes empêchent-elles les gouvernements de lutter sérieusement contre l’évasion fiscale, mais de plus, elles contribuent à accentuer le problème en servant de justification pour la mise en place d’une fiscalité sans cesse plus accommodante pour les grands investisseurs internationaux sous prétexte de les inciter à garder ici leurs capitaux. On réduit l’impôt des grandes entreprises, on réduit l’imposition sur les gains en capital, on élimine la taxe sur le capital, on exonère d’impôt certaines entreprises d’exportation et on signe même un nombre grandissant de conventions avec des paradis fiscaux. Ces conventions fiscales et accords d’échange de renseignements fiscaux (AERF) signés avec des paradis fiscaux permettent aux Canadiens de rapatrier des capitaux de leurs comptes extraterritoriaux sans qu’ils y soient imposés. Pourtant, alors qu’une mouvance internationale se constitue autour de cette question, nous sommes surpris de voir que le Canada est pratiquement absent du dialogue multilatéral. Certains qualifient même la présence internationale canadienne dans le combat contre l’évasion fiscale « d’arrière-gardiste », ce qui est pour le moins gênant. Ne désirant plus attendre qu’une réponse toute faite nous soit livrée par la communauté internationale, nous désirons que le Canada s’engage activement dans la lutte contre l’évasion et l’évitement fiscal international. Le collectif Échec aux paradis fiscaux a récemment publié un rapport proposant sept solutions concrètes que le gouvernement fédéral pourrait appliquer dès aujourd’hui. Elles proposent en substance au gouvernement d’imposer des pénalités aux auteurs de déclarations volontaires, de prendre part activement à la lutte internationale contre les paradis fiscaux qui existe bel et bien et à abroger ses propres mesures lorsqu’elles favorisent les paradis fiscaux. En termes plus techniques :

  • Modifier les régimes de divulgation volontaire pour y prévoir des pénalités aujourd’hui inexistantes en s’inspirant des programmes états-uniens Offshore Voluntary Disclosure Initiative (OVDI) et Stream Line Program ;
  • Participer aux accords multilatéraux d’échange automatique de renseignements fiscaux ;
  • Retirer l’avantage fiscal prévu aux accords d’échange de renseignements fiscaux ;
  • Revoir certaines conventions fiscales ;
  • Modifier la définition de « pays désigné » au paragraphe 5907 (11) des Règlements de l’impôt sur le revenu ;
  • Supprimer les fiducies de revenu non imposables ;
  • Joindre l’initiative Base Erosion and Profit Shifting (BEPS) de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Ces recommandations, qui sont davantage détaillées dans le rapport « Paradis fiscaux : des solutions à notre portée », sont réalistes et sensées. Nous vous demandons d’étudier avec soin ces recommandations et de les appliquer. Nous faisons appel à votre sens de la justice et de l’équité. Le Canada doit maintenant agir et s’attaquer sérieusement à ce fléau généralisé.

Signataires :

  • Carolle Dubé, présidente, Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS);
  • Claude Vaillancourt, président, ATTAC-Québec;
  • François Vaudreuil, président, Centrale des syndicats démocratiques (CSD);
  • Louise Chabot, présidente, Centrale des syndicats du Québec (CSQ);
  • Daniel Boyer, président, Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ);
  • Alexis Tremblay, président, Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ);
  • Jonathan Bouchard, président, Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ);
  • Line Larocque, première vice-présidente, Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ);
  • Lucie Martineau, présidente générale, Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (SFPQ) et porte-parole du Secrétariat intersyndical des services publics (SISP);
  • Élisabeth Gibeau, analyste politiques sociales et fiscales, Union des consommateurs;
  • Yan Grenier, président du c.a., Les AmiEs de la Terre de Québec;
  • Alain Deneault, chercheur, Réseau pour la justice fiscale/Québec;
  • Dominique Daigneault, présidente, Conseil central du Montréal métropolitain CSN (CCMM-CSN);
  • Kim De Baene, co-porte-parole, Coalition opposée à la tarification et à la privatisation des services publics;
  • Alain Marois, vice-président à la vie politique, Fédération autonome de l’enseignement (FAE);
  • François Saillant, coordonnateur, Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU);
  • Dominique Peschard, président, Ligue des droits et libertés