Une femme est sur un chantier.

Par Jacqueline de Bruycker

« La situation des femmes dans les métiers de la construction démontre avec éloquence que l’égalité entre les femmes et les hommes n’est pas encore atteinte. [] Ce que vivent les femmes dans l’industrie de la construction est l’illustration, quasi caricaturale, que notre société tolère aujourd’hui encore que les femmes soient exclues de pans de notre économie aussi importants que la construction. »

L’avis déposé en mars 2013 par le Conseil du statut de la femme sur Une mixité en chantier : les femmes dans les métiers de la construction dresse un bilan quiest loin d’être rose tout en soulignant avec force l’urgence d’agir contre le harcèlement, l’intimidation et la discrimination que de trop nombreuses femmes subissent sur certains chantiers.

La proportion de femmes dans l’industrie de la construction

Violette Chauveau
Violette Chauveau

En 2011, la proportion de femmes par rapport à la main-d’oeuvre totale était de 1,3 % dans l’industrie de la construction. Ce taux, qui se situe sous la moyenne canadienne qui est de 3 %, vaut au Québec d’occuper le dernier rang, parmi les provinces, loin derrière l’Alberta et l’Île-du-Prince-Édouard, qui respectivement affichent des taux de 5,9 % et de 4 %.

Les femmes sont cantonnées dans quelques métiers de la construction, « la plupart en rapport avec des tâches de finition ou de décoration, qui exigent de la minutie et un certain sens de l’esthétique, des qualités que l’on attribue traditionnellement aux femmes ». La présence des femmes est, en effet, plus marquée dans les métiers comme calorifugeur, carreleur, peintre, plâtrier, poseur de revêtements souples. À l’inverse, peu d’entre elles exercent les métiers comme ceux de briqueteur-maçon, couvreur, frigoriste, grutier, mécanicien de chantier, mécanicien en protection-incendie, opérateur de pelles.

Les femmes ont davantage le statut d’apprenti que de compagnon, elles « semblent éprouver plus de difficultés que les hommes à cumuler le nombre d’heures requis pour obtenir leur certificat de compétence « compagnon » », peut-on lire dans l’avis. En fait, à peine 18 % d’entre elles le détiennent comparativement à 50 % pour les hommes. Et puisqu’elles font moins d’heures que les hommes, inévitablement leur salaire annuel est plus bas que le leur.

Si le recrutement, l’accès à la formation et le maintien en formation constituent autant d’obstacles pour les femmes, ce n’est rien à comparer à la vie difficile qui souvent les attend sur un chantier de construction. En plus de devoir constamment prouver qu’elles détiennent les qualités requises pour effectuer le travail qu’on leur demande, elles sont en proie aux pressions, aux railleries, victimes de harcèlement, d’intimidation, de violence.

Pas étonnant, dès lors, que 62% des femmes quittent les chantiers après cinq années de travail et renoncent à y faire carrière, contre 36% pour les hommes. C’est la discrimination dont elles sont victimes qui les poussent à agir et non parce qu’elles sont incapables « de répondre aux exigences physiques de certains métiers de chantier. Le manque de force physique des femmes est sans aucun doute le préjugé le plus tenace que doivent affronter les travailleuses qui désirent faire leur place dans le monde de la construction ».

L’avis du Conseil du statut de la femme cite notamment la sociologue Francine Burnonville, selon laquelle « les difficultés que vivent les femmes dans les métiers non traditionnels sont davantage liés aux relations interpersonnelles qu’aux tâches à accomplir. L’aspect le plus dur pour les travailleuses est la négation plus ou moins subtile de leur droit au travail. De plus, se faire répéter qu’elles ne sont pas à leur place mine leur moral et les épuise psychologiquement ».

Une série de recommandations aux employeurs

L’analyse de la situation des femmes dans les métiers de la construction a amené le Conseil du statut de la femme à déposer onze recommandations s’adressant, entre autres aux employeurs et aux associations syndicales présentes dans l’industrie de la construction, à la Commission de la construction du Québec (CCQ), au ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, aux écoles des métiers de la construction du Québec, à la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST).

« À ce jour, toutes les mesures mises en place dans le Programme d’accès à l’égalité dans le domaine de la construction ont un caractère volontaire. Le conseil croit, compte tenu des maigres résultats obtenus jusqu’à maintenant, que des mesures plus contraignantes doivent être appliquées pour obliger les employeurs à embaucher des femmes. »

Vanessa
Vanessa Guérin

À cet effet, il recommande que « les entreprises de la construction qui souhaitent bénéficier de contrats publics ou de sous-traitance publique soient tenues d’embaucher des femmes et que cette disposition constitue une condition pour participer aux appels d’offres. L’objectif global est que l’industrie de la construction devra compter 3 % de femmes, soit l’équivalent de la moyenne canadienne, d’ici trois ans ».

Le conseil souhaite également qu’une entreprise coupable de harcèlement, discrimination ou atteinte aux droits fondamentaux des travailleuses se voit refuser ou révoquer par l’Autorité des marchés financiers l’autorisation préalable à l’obtention d’un contrat public.

Le conseil interpelle aussi les associations syndicales qui ont pignon sur rue dans l’industrie de la construction afin qu’elles se dotent d’une politique pour contrer le harcèlement sexuel et la discrimination sur les chantiers et offrent un programme de sensibilisation et de prévention destiné aux représentants syndicaux qui interviennent sur les chantiers.

Quant à la CCQ, ses responsabilités seraient de s’assurer, au moment de l’inspection des chantiers, de l’application par les employeurs de politiques internes pour contrer le harcèlement, de soutenir les travailleuses qui souhaitent porter plainte avec la création d’une équipe formée à cette fin et d’élaborer avec d’autres partenaires une campagne de publicité portant sur les femmes et les métiers de la construction.

La CSST devrait, quant à elle, s’assurer, lors des inspections de chantiers, que les travailleuses disposent d’équipements sécuritaires adaptés.

Le conseil conclut que « les enjeux de la situation des femmes dans l’industrie de la construction vont bien au-delà des mesures actives d’embauche ou des politiques pour contrer la discrimination et le harcèlement sexuel. Bien que ces mesures soient essentielles, c’est indéniablement la culture masculine de l’industrie de la construction qui doit évoluer ».